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    Ca faisait un bail que j'avais pas été à Auchan. Parce que c'est trop grand, parce que t'y vas pour acheter un pain et des tomates et tu ressort avec des livres, un cd, un t-shirt et que tu te rends compte, au moment où tu gares ta bagnole devant chez toi que t'as oublié d'acheter les tomates. Mais là, hier, j'ai été à Auchan. Quand même. Et ils ont fait un truc hallucinant: le rayon des pauvres.

    Dans Auchan, les rayons sont indiqués par des affiches jaunes avec une certaine police d'écriture, noire. Le rayon des pauvres (les articles sans marque, souvent en vrac) est indiqué par des affiches rouges et une grosse police d'écriture toute moche. Limite tu te crois dans un reportage d'Arte sur les supermarchés sous Staline. Les étals sont mal faits, et tu t'attends presque à ce que les femmes de ménage aient l'interdiction de venir nettoyer ce rayon. Pour bien montrer que c'est vraiment pas aussi bien que le reste du magasin.Que c'est pas pour les gens qui ont les moyens.

    Dans ce rayon, t'as même pas les trucs de la marque Auchan, avec le logo en haut, non, c'est des produits avec une marque à la con, sur fond blanc (jamais de couleur sur les paquets, tout est blanc, encore plus blanc que la garde-robe de Ségolène Royal), y'a pleins de trucs en vrac (les cacahuètes, les noisettes, les bonbons, bref, TOUT est en vrac), et tu sens bien que t'es pas vraiment dans Auchan, avec les Mars, les Snickers et tout. C'est encore plus moche que Lidl. Pourtant, déjà, c'est pas très beau Lidl. Mais là, c'est carrément glauque. Aussi riant qu'une branlette un samedi soir. Et ce qui fait que c'est encore plus glauque, c'est que si tu quitte ce rayon, tu te retrouves dans le vrai Auchan, avec les vrais produits et les vraies marques.


    Là, limite t'as l'impression qu'ils veulent te tatouer "pauvre" sur la gueule. Bien sûr, t'as pleins d'arabes dans ce rayon, des gitans... En fait, t'as les mêmes gens que ceux que tu vois à Lidl. Les mêmes pauvres. Mais qui jouent aux riches en allant faire leurs courses à Auchan. Un peu comme quand, gamin, on jouait à la marchande. Y'avait des faux prix, des faux billets, parce que c'était pas une vrai boutique, c'était pour de semblant. Ben là, pareil, c'est pas le vrai Auchan, c'est pour de semblant. Comme disait Brel, ce sont des gens qui voudraient bien avoir l'air, mais qui n'ont pas l'air du tout.


    Juste pour que t'ai l'illusion, le temps d'un passage, que toi aussi tu peux te permettre d'aller faire tes courses à Auchan. Alors que tu ressors avec que des produits encore moins bien que ceux de la marque Auchan, du PQ qui te râpe comme si tu te torchais avec du papier abrasif, du chocolat que si t'en mange un carreau t'es constipé pendant 3 semaines, même qu'ils pourraient l'envoyer au Darfour pour lutter contre le choléra, des pâtes qui se décomposent à la cuisson comme un cadavre qui aurait traîné 3 mois dans l'eau... Bref, de la merde.

    C'est encore une fois Brel qui a raison: Faut pas jouer les riches quand on n'a pas le sou.


    Matthieu


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  • Handicap international a trouvé une idée géniale, pour sensibiliser les masses laborieuses au douloureux problèmes des mines à sous munitions qui détruisent les gens et qui, quelquefois, se contentent de leur massacrer les jambes, si bien que ces pauvres gens ne peuvent plus faire de saut en hauteur. L'idée de Handical International, c'est d'édifier des pyramides de chaussures.



    Oui, le concept est curieux: pour lutter contre des mines qui détruisent les jambes, les gens viennent déposer des chaussures... Pourquoi pas ? Pour aider Handicap International, plutôt que d'aller déposer une chaussure sur une pyramide qui ne sert à rien, je propose de nouvelles idées. Mais dans le même esprit, pour ne pas déranger ni rien.



    Pour lutter contre la famine, je propose de faire des pyramides de grosses. Vous avez chez vous une grosse qui ne vous sert plus à rien (sauf à faire la cuisine et le ménage, une femme quoi) ? Venez la déposer. A Paris, la pyramide sera commencée avec Roselyne Bechelot, Marianne James sera à Lyon et Chimène Baddi à Bordeaux.



    Pour lutter contre le racisme, des pyramides de noirs. Vous croisez un noir dans la rue ? Prenez-le, et venez le déposer sur une pyramide de noir, pour protester contre le racisme, parce que comme le disent les gens engagés qui ont pleins de convictions et qui mangent bio, le racisme c'est mal. C'est comme la guerre et la maladie. Et c'est être réellement engagé que de dire ça.



    Il est également nécessaire de lutter contre les intellectuels. C'est pourquoi une pyramide de connes sera créée, pyramide soutenue par Amélie Nothomb, avec évidemment une tripotée de grognasses, comme Diam's, Carole Rousseau, Christine Bravo... Mesdames, on n'attend plus que vous ! A noter que soeur Emmanuel viendra nous faire son numéro habituel sur la misère du Caire avec les enfants qui meurent dans les bras et qu'on se demande pourquoi il se passe des trucs comme ça sur terre avant de retourner prier dieu.



    Si quelqu'un peut m'expliquer, quand même, le concept de la pyramide de chaussures... A quoi ça sert ? Qui est sensibilisé à part les gens qui viennent déposer leurs chaussures ? Je veux dire, OK, c'est terrible ces bombes. Mais on le sait, donc pourquoi, et surtout, pour qui, aller déposer ses chaussures sur un gros tas (sur un gros tas de chaussures je veux dire hein, pas sur Carole Frédéricks qui de toutes façons est morte) ?



    En même temps, déposer un truc qui sert à rien sur une pyramide qui sert à rien, ça permet toujours de se donner bonne conscience à peu de frais, on peut ensuite retourner chez soi avec la satisfaction du devoir accompli et l'égo regonflé grâce à un geste que l'on a cru nécessaire pour sauver le monde.



    Matthieu


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    Tania Head est une américaine grosse et moche. Le 11 septembre 2001, sa vie a basculé. Depuis 6 ans, elle raconte comment elle a réussi à s'échapper de la tour sud du World Trade Center frappée par un avion, trouvant la force dans la pensée de sa robe de mariée, qu'elle devait porter à l'occasion de son prochain mariage. Son histoire est très émouvante, puisqu'elle doit la vie à un homme qui l'a sauvée avant de périr, et qu'il n'y a pas eu de mariage après le 11 septembre, son fiancé ayant péri dans les attentats. Un histoire à tirer les larmes à un seau à charbon. Une histoire qui lui a permit de devenir la présidente de l'association du réseau des survivants. Une histoire... Qui n'est qu'une histoire. Tania Head ne s'est jamais trouvé, le 11 septembre, dans les tours du World Trade Center. Tania Head n'a jamais eu de fiancé mort, puisqu'elle n'avait pas de fiancé...


    Le mensonge est la religion des esclaves et des patrons (Maxime Gorki)


    Tania Head s'est retrouvée esclave. Elle, qui était grosse et moche, a voulu exister. Comme elle n'existait pas suffisamment en temps que Tania Head, être normal, elle a créé une Tania Head, rescapée miraculeuse. Et son histoire a marché. Tellement bien marchée que les gens qui venaient l'entendre raconter son histoire sur le site de Ground Zero disaient que les choses sont plus faciles à appréhender lorsqu'on les entend de la bouche d'une victime, que c'était très émouvant.


    Mais est-ce que les choses sont moins émouvantes si elles sont fausses ? Un roman peut-être très émouvant, même si l'on sait que les personnages n'existent pas. On peut pleurer au cinéma, en sachant que derrière l'écran de projection, il n'y a rien d'autre que l'imagination d'un scénariste. Quel est le rôle de la vérité ? A quoi sert un témoignage ? Pourquoi les gens ont-ils voulu écouter Tania Head ? Parce qu'elle était vraie ? Authentique ? Sincère ?


    A une vérité ténue et plate, je préfère un mensonge exaltant (Alexandre Pouchkine)


    Tania Head a été le symbole d'une certaine forme de courage. Comment une femme quelconque peut se transformer en héroïne. Maintenant, Tania Head n'est plus rien. Elle, qui a su parler des attentats comme personne, n'existe plus. Pire, elle est en passe de devenir un symbole de mystification. Peut-être qu'un jour, de la même façon que l'on parle d'un harpagon pour désigner un avare, on parlera d'une head pour désigner une mythomane.


    Tania Head a voulu exister. Tania Head a existé en temps qu'héroïne, elle va maintenant exister en temps que mythomane.

    Mais pourquoi donc Tania Head a-t-elle voulu exister ? Qu'est-ce qui pousse quelqu'un à s'inventer un passé fantasmagorique pour être vu des autres ?

    Tania Head me fait pitié. Enfin non... Tania Head me fait de la peine. Parce que nous voulons tous exister d'une façon ou d'une autre. Et qu'il est arrivé à tout le monde de mentir pour voir une étincelle d'envie / d'admiration / de reconnaissance / de fierté (rayer la mention inutile) briller dans l'oeil de notre interlocuteur.


    Tania Head me rend triste, parce que nous sommes tous des Tania Head.


    Matthieu


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    Yvan est le prénom du jeune garçon ukrainien qui a sauté de sa fenêtre lorsque des policiers sont venus le conduire, lui et ses parents, en centre de rétention administrative pour les renvoyer chez eux, ses parents vivants en France sans titre de séjour. Yvan a décidé de jouer à Mike Brant quand des policiers sont entrés dans l'appartement de ses parents, pour leur échapper...


    Dans quel pays vivons-nous ? Dans quel pays normal les enfants de 12 ans ont tellement peur des policiers que, sans avoir commis aucun délit, ils préfèrent tenter d'échapper à la police en sautant du 4ème étage plutôt que de devoir affronter la police ?


    Aux dernières nouvelles, Yvan est toujours à l'hôpital. Yvan est en rééducation, et personne ne sait s'il récupèrera un jour la totalité de ses facultés. Yvan était l'un des meilleurs élèves de sa classe. Bon, comme dit le poète, cela ne change rien à l'affaire, aurait-il été un cancre paresseux qu'il n'aurait pas plus mérité ce qui lui arrive.


    Grâce à Yvan, la présidence de la république (avec un petit « r » pour le coup) a annoncé que ses parents allaient obtenir un titre de séjour. Le prix du sang ? La rançon de la honte ? Qu'est-ce que ça veut dire exactement, donner des papiers à des gens parce que leur fils a failli mourir ?


    Soit la règle est juste et elle s'applique à tout le monde, soit la règle est injuste et ne doit pas s'appliquer. Si les gouvernants sont persuadés du bien fondé des reconduites aux frontières (qui sont toujours un double drame individuel, le départ des pays d'origines pour la France étant toujours des déchirures) alors qu'ils fassent reconduire les parents d'Yvan dans leur pays, et qu'on leur renvoie Yvan une fois guérie. Dura lex, sed lex. La loi est dure, mais c'est la loi.


    Soit les reconduites aux frontières sont des choses iniques et dépourvues d'éthiques, et à ce moment-là, on n'en fait plus.


    Michel Rocard avait dit: « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde... » Personne n'a retenu la suite de sa phrase « mais elle doit prendre sa part »...


    Que pourra-t-on dire à Yvan et à ses parents lorsqu'il leur sera rendu après l'hôpital ? Quels mots pourra-t-on trouver pour dire à ces parents que ce qui s'est passé est horrible ? Quels termes pour soulager la conscience de ceux qui ordonnent d'aller chercher des familles pour les renvoyer dans un pays qu'ils ont fuit pour d'excellentes raison ? (je pense qu'on ne lâche pas son pays de gaîté de coeur pour partir vers l'inconnu).


    J'ai trouvé. Une fois Yvan sorti de l'hôpital, on le remettra à ses parents, et on leur dira « Bienvenus en France »...


    Matthieu


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    Quand le chêne est tombé, chacun se fait bûcheron - Menandre


    C'est l'une des nombreuses citations que comporte le livre de Franz-Olivier Giesbert « la tragédie du Président » sous-titré « scène de la vie politique 1986-2006 ». Un livre sur Chirac. Bien sûr. Sans complaisance. Evidemment. Parce qu'il n'y a rien de plus facile que de mordre la main qui vous a nourri pendant des décénies dès lors que vous avez acquis la certitude que vous allez très prochainement changer de maître. Dans ce livre sans concession, Giesbert dépeint un Chirac seul, très seul, immensément seul. Un Chirac seul pour avoir tué tous ses amis (et ses ennemis aussi). Un type qui souffre d'un énorme complexe d'infériorité, un type qui souffre d'un trop plein de besoins sexuels (le soir de sa victoire en 1995, il s'est eclipsé de la réception en compagnie d'une personne qui ne portait pas le prénom de Bernadette), un type pas terrible finalement. Un peu comme tout le monde voit Chirac.


    Et le problème, c'est ce livre sans concession. Parce que Chirac est problablement l'enfoiré décrit dans ce bouquin, le monstre de cynisme arrivé au pouvoir à force d'essayer, mais c'est trop tard. Chirac, encore plus vieilli, usé et fatigué qu'en 2002, ne fait plus peur à personne. Il ne sert plus à rien. Il se rêve une vie après la présidence, il s'imagine déjà en Jimmy Carter, il risque bien de n'être qu'un pauvre type courrant après une reconnaissance qu'il est le seul à estimer mériter. Giesbert aurait pu faire ce livre avant. Il aurait pu le faire en 1996, même en 2001... Il n'en a rien fait, trop prudent pour risquer quoi que ce soit.


    Sinon, le livre est plaisant (la misère des autres, surtout s'ils ont été grands, est toujours plaisante), bourré de citations (au début, je me suis même demandé si Giesbert n'avait pas, au départ, l'intention d'écrire un dictionnaire de citation, c'en est à un point où, dans certains chapitre, on lit plus de citations d'auteurs divers que de paroles de Chirac). Chaque chapitre porte une citation en exergue, pour que le lecteur, forcément moins intelligent que Giesbert, comprenne bien de quoi va traiter le chapitre en question. Celle-ci, par exemple, qui ouvre le chapitre 21, intutilé le dauphin de Mitterrand: Quand le vieux lion se meurt, même les chiens ont du courage et lui arrachent les poils de sa moustache (proverbe syrien). Personnellement, je trouve cette citation d'autant plus cruelle que Giesbert ne se rend absolument pas compte qu'il pourrait être dans les premiers à se l'appliquer.


    Parce que finalement, où est le courage lorsqu'on s'attaque à un Président en fin de règne (le livre est sorti en 2006) ? Quel est l'intêret de sortir un livre au moment où son héros quitte la scène ? Parce que ce bouquin bien écrit (ça, c'est bien écrit, c'est du chiadé) n'est qu'un bouquin bien écrit, qui raconte combien Chirac peut-être odieux (on lit qu'il a déclaré à Bernadette, à propos de l'après-présidence: « non mais franchement, vous me voyez prendre mon petit déjeuner en face de vous, tous les matins ? »), combien Chirac fini seul, combien Chirac n'a pas vraiment été un type bien...


    Dans 10 ans, quand le prochain Président aura tiré ses deux mandats consécutifs, Giesbert écrira un livre pour dire combien il l'a bien connu, et combien c'était un type pas très réglo, pas très net, pas très sympa, et combien il a été con de voter pour lui deux fois de suite.


    Matthieu


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