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    Tender Branson est seul dans un avion qui va s'écraser. L'avion est sur pilotage automatique, et il va tomber comme une pierre dès lors qu'il n'y aura plus de carburant. Tender Branson le sait, le pilote le lui a dit avant de sauter. Alors, il va raconter son histoire...


    Comme tous les garçons qui ne sont pas les premiers nés dans la communauté creedish, Tender a été envoyé, à l'âge de 17 ans, en dehors de la colonie pour servir dans une maison. Faire le ménage, préparer les réceptions, jardiner, faire la vaisselle, enlever les tâches de sang... Bref, homme à tout faire. En échange de son travail, ses employeurs font un don à la communauté creedish. Jusqu'au jour où les membres restés à la colonies vont tous se suicider, indiquant par là même à ceux qui sont à l'éxtérieur que le moment est venu de mourir aussi. Tous vont mourir, et Tender Branson va être le dernier survivant.


    Un survivant qui va aussitôt se faire happer par une machine infernale: l'agent. Un agent qui va lui faire atteindre la gloire, qui va l'embarquer dans un système où tout se vend, même son âme. Et Tender Branson, de toutes façons, ne va pas à l'encontre de ça. Parce qu'il y avait toujours quelqu'un pour lui dire que faire, parce que l'histoire n'est qu'un éternel recommencement, parce que rien n'est jamais vraiment nouveau. Tender Branson va se contenter de faire ce qu'on lui dit de faire, comme il en a l'habitude depuis qu'il est né. Parce qu'il n'a jamais eu à prendre la moindre initiative.


    Il va rencontrer un agent, un entraîneur physique, une mère porteuse stérile (c'est d'ailleurs grâce à ça qu'elle gagne autant d'argent), un frère jumeau meurtrier... Une galerie de personnages tous plus hallucinés les uns que les autres, tous également humains. Ou pas. Et finalement, on peut se dire que ce n'est qu'un malheureux concours de circonstances qui a amené Tender Branson à détourner un avion pour se suicider, mais ce serait oublier qu'il n'avait pas vraiment le choix, et qu'à la manière d'une tragédie grecque, tout était écrit d'avance, qu'il n'y avait pas de place pour le lire arbitre, qu'il n'avait pas plus le choix de mourir que ses 641 poissons rouges.


    Un roman plaisant, drôle (mais finalement pas tant que ça), bien écrit et traduit semble-t-il correctement. C'est à dire qu'il n'y a pas de tournures de phrases ignobles qui laissent penser que la traduction s'est faite à la hache. Par moment, on dirait presque du Yann Moix. En encore mieux. C'est dire...


    Matthieu


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  • Prenez Holden Caufield, le héros de « l'attrape-coeur », un garçon un petit peu paumé qui a du mal à se trouver des repères. Donnez-lui de la drogue, un psy déjanté, un père qui n'a dans l'idée que de tuer une mère hystérique quand elle va bien et totalement psychotique quand elle va mal, et vous aurez Augusten.


    Augusten a 12 ans dans les années 70 lorsque sa mère le confie à son psy. Qui vit avec des enfants adoptifs et une femme qui mange des croquettes pour chat devant la télé dans une maison où tout est permis. La mère d'Augusten va vivre seule, avec quelquefois la visite de la femme du pasteur qui vient lui bouffer la chatte épisodiquement. La mère d'Augusten, par contre, n'a pas besoin de la femme du pasteur pour se repaître de cire de bougie.


    Dans une sorte d'univers terrifiant et bordélique, Augusten va tenter de grandir. Entre Hope, qui enferme son chat (Freud) et le laisse mourir, persuadée qu'il était malade, Nathalie, qui a été vendue à l'âge de 11 ans par son père (le psy) à un client riche, et Neil Bookman, qui va violer Augusten avant de devenir son amant, la vie est plutôt chaotique.


    Cette autobiographie, qui semble vouloir rire de tout pour ne pas être forcée à en pleurer, laisse place à une mélancolie assez décalée une fois terminée. En effet, dans cette galerie de personnages tous plus cinglés les uns que les autres, on se prend à s'attacher à tel ou tel, et à détester ce psy fou et monstrueux qui, sous couvert de liberté individuelle, laisse ses proches dans un état quasi-sauvage.


    Ainsi, au fur et à mesure du livre, on découvre le langage psychanalytique des insultes familiales (« tu es bloquée au stade oral, salope »), la façon qu'ont les différents membres de cette famille de trouver des réponses à leurs questions (ouvrir la Bible au hasard, y prendre le premier mot qui vous tombe sous la main et interpréter ce mot en fonction de votre question), la manière tout à fait inhabituelle qu'a le psy de lire l'avenir (dans ses étrons, jusqu'au jour où il est constipé et prend cette constipation comme un signe divin indiquant que ce mode de communication ne servira désormais plus), bref, des fous furieux comme on n'en voudrait pas.


    Ainsi, c'est très drôle à lire, mais on ne peut s'empêcher de voir que Augusten, arrivé dans cette maison avec quelques maigres repères, en sort complètement lessivé (au sens de lavage de cerveau), paumé par cette éducation qui n'en est pas une. Et un peu comme on aurait voulu être avec Holden Caufield pour l'accompagner dans les rues de New-York, on aurait voulu être avec Augusten Burroughs pour l'aider à grandir.


    Matthieu


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    Il y a des livres qui sont tout simplement énorme. Pas physiquement, on ne parle pas de Guy Carlier, non, des livres qui, en racontant une histoire et sans avoir l'air d'y toucher, montrent des choses auxquelles on n'avait pas pensé.

    Les cafards n'ont pas de roi raconte l'histoire d'une colonie de cafard qui vit dans l'appartement de Ira, un juif trentenaire. Tout se passe bien pendant que la compagne d'Ira, une gitane, est là: elle est bordélique, laisse traîner de la nourriture partout et fait le bonheur et la prospérité de la colonie de carfards. Malheureusement, la gitane part et laisse la place à une juive méticuleuse et ordonnée, qui va commencer à tout ranger dans des tuperwares, inaccessibles mais transparents...

    Toute l'histoire est racontée du point de vue de Nombre, un cafard (forcément) né dans la bible (d'où son nom). Chacun des cafards est né dans la bibliothèque et chacun se retrouve avec un nom célèbre, ce qui donne lieu à des scènes d'une ironie énorme (le jour où Ira mange par erreur une amie de Nombre qui s'était réfugiée dans la boîte de corn flakes, amie qui s'appelait Rosa Luxembourg et qui donnera à Nombre l'occasion de crier « on a assassiné Rosa Luxembourg » avec un développement sur l'égoïsme...), mais aussi des scènes très travaillée (l'histoire avec les blattes américaines, plus grosse que la colonie de Nombre, ou la scène de l'égoût).



    Le livre est vraiment bien écrit, à chaque nouvelle lecture, on aperçoit des choses qu'on avait complètement zappé précédemment, et le nom des cafards lie leur destinée. Le tout truffé de références bibliques (la scène des cafards adorant le cavalier du jeu d'échec comme le nouveau veau d'or est phénoménale, de même que la traversée de la salle à manger, tels les israélites guidés par Moïse) et juives.



    Une description de la société humaine du point de vue de cafards, ça peut paraître bizarre, au final c'est décapant. Mais pour de vrai. Pas décapant comme il est dit dans le journal de Claire Chazal à propos de Mimy Matty et de son personnage de Joséphine Ange gardien, consensuel et conventionnellement moralisateur. Non, décapant avec du vrai humour et des vrais morceaux d'ironie dedans. Et un livre pas prétentieux pour un brin.



    Et puis, parce que les cafards ne sont pas aussi con que ce que l'on croit lorsqu'on laisse des motels à cafard sur son frigo (en fait, des boîtes en carton pleines de glu), le vainqueur ne sera pas celui qui aurait dû logiquement gagné. Oui, à la fin, Nombre gagne... Enfin, gagne... C'est encore l'un des paradoxes du livre. Il finit par gagner contre Ira, d'une façon étonnante et dégoûtante, mais seulement après que la colonie eut été décimée...



    Un livre que, personnellement, je classe dans mon top 10.



    Matthieu


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    Au même titre que Cécilia, Clara est un prénom typique pour une pute. Sauf que l'auteur de ce livre n'est pas prostituée. Elle est une journaliste BSTR (Bien Sous Tous Rapports) qui se lève un jour en se disant que ça serait chouette de faire un truc bien raccoleur, style discuter avec une pute pour en savoir plus. C'est ce qu'elle a fait, et le résultat se présente sous la forme d'un petit livre de 177 pages, dans lesquelles elle parle de Iliana, une prostituée bulgare de 21 ans, de ce qu'est sa vie, de ce que sont ses rêves...


    Iliana se livre assez difficilement. Faut dire que c'est pas évident de faire confiance à quelqu'un qui veut voir votre esprit alors que votre truc, c'est votre corps. Un corps qui sert de réceptacle à sperme aux gens qui paient. Oui, parce que c'est de cela qu'il s'agit.


    On se rendra compte que lorsqu'on parle de glauque pour évoquer la prostitution, on est encore loin de la réalité. On apprendra qu'une pipe doit durer 10 minutes (et franchement, 10 minutes quand on voit où ça se passe, ça relève de l'exploit), que les samedi soirs sont horribles, avec la peur de voir ceux des quartiers arriver et prendre une pute et la jeter après l'avoir frappée et lui être passés tous sur le corps, le soulagement quand ça arrive à une autre, on apprendra aussi que Iliana déteste les mecs qui viennent juste pour parler, qu'elle déteste le contact humain, qu'elle veut en rester, avec son client, à l'échange d'un trou vivant contre de l'argent. On apprendra aussi la crasse, les nausées devant la crasse de certains, on souffrira avec elle devant son histoire d'amour bancale avec un minable délinquant roumain de 24 ans, qui ne rêve que de sodomie et d'argent facile.


    Au final, un livre pas raquoleur du tout, sans pudeur mais sans voyeurisme inutile (tant pis), qui ne prétend pas évoquer une cause dans son ensemble mais qui parle d'une petite fille perdue dans un monde dans lequel son rôle se limite exclusivement à montrer son corps le plus possible dans l'espoir d'avoir un sexe inconnu dans la bouche en échange de 30 € ou d'avoir un sexe dans le sien pour 50 €. Oui, la prostitution, c'est ça, et à la fin, elle rencontre un millionnaire de 30 ans de plus qu'elle et elle l'épouse pour son argent, et il meurt peu de temps après et elle peut faire venir toute sa famille, et elle est heureuse, enfin. Non, je déconne.


    A la fin, elle essaie de s'en sortir, mais se rendra vite compte de la difficulté de la chose, l'argent facile (mais l'argent de la prostitution est-il vraiment de l'argent facile ? Parce que ce qu'on apprend aussi, c'est qu'on ne taille pas une pipe seulement avec sa bouche) ne se compensant pas.


    Un livre assez émouvant, écrit avec juste ce qu'il faut de distance, sans jugement définitif sur la prostitution, les clients et tout le bordel dont les féministes nous rabattent les oreilles à longueur de temps.


    Matthieu


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    Bradley Barett est un mec, un vrai. Un qui joue au football, un qui a des muscles, un qui a une copine bonne comme une cigarette après un repas. Un qui a une paire de couilles grosses comme... ben non justement.

    Parce que là est le point de départ de ce roman: Bradley Barett n'a plus de couilles. Ni de bite. Par contre, son torse est maintenant ornée d'une magnifique paire de seins. Oui, suite à une erreur des brancardiers, Bradley, entré à la clinique pour subir une ablation des molaires, va en ressortir femme, tandisque le transexuel entré pour se faire ôter le gourdin qui lui servait de sexe se retrouve délesté de ses dents de sagesse. Ce qui le rend quasiment aussi furieux que Bradley.


    Bradley va perdre son emploi, et accepter de vendre son histoire à un tabloïd. Puis il va lui falloir faire un choix, sachant qu'il ne pourra pas retrouver son sexe d'origine: désire-t-il devenir vraiment une femme, c'est à dire prendre des hormones, se maquiller et pleurer devant des téléfilms à la con ?


    Ce livre navigue entre la franche comédie et la réflexion pseudo-intellectuelle de la condition des femmes dans la société post-moderne actuelle (alors là, franchement, je sais pas vous, mais moi, je trouve qu'elle a de la gueule cette phrase). Du coup, on sait jamais si, après avoir ri, on va pas tomber sur un passage à la con sur le sexisme des réactions masculine dans leur ensemble.


    Alors parmi les moments drôles quand même, celui où Bradley s'achète une jupe, celui où il prend des conseils de maquillage auprès de sa copine (enfin, de son ex-copine, puisqu'elle ne se sent pas de devenir lesbienne, fusse pour rendre service à un ex), où il fait gaffe à son apparence devant les mecs fréquentant le club de gym, et le premier orgasme.


    Ensuite, il y aura le changement de prénom, puisque Bradley va prendre le ridicule prénom de Jacqueline (oui, les anglais sont vis à vis des prénoms français un peu comme les français vis à vis des prénoms américains: ils adorent sans se rendre compte soit du ridicule soit du côté archi-démodé du prénom), et surtout... la première visite chez le gynéco, le pied à l'étrier (si vous n'avez pas vu qu'il y avait un jeu de mot, relisez la dernière phrase).


    Un livre correct, qui permet de passer le temps quand il est nécessaire d'en perdre (en cas de visite chez le gynéco par exemple) mais qu'on pourra allègrement oublier si on a quelque chose de mieux à lire. Alors le mieux sera plus drôle, plus intelligent et moins poncif. Donc pas un livre de Bernard Werber. Evidemment.


    Matthieu


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